Troubles des conduites alimentaires (TCA) : mieux comprendre pour mieux accompagner
- virginie sauvage
- il y a 5 jours
- 9 min de lecture

Les troubles des conduites alimentaires — souvent appelés TCA — sont des affections psychiques complexes qui touchent la relation à l’alimentation, au corps et aux émotions. Ils ne sont ni un choix, ni un « caprice », et nécessitent une véritable prise en charge pluridisciplinaire.
Qu’est-ce qu’un TCA ?
Un trouble des conduites alimentaires est une perturbation durable du comportement alimentaire (restriction, perte de contrôle, compulsions, compensations…) associée à une forte souffrance psychique.Il s’accompagne souvent d’une altération de l’estime de soi, d’une relation conflictuelle au corps, d’angoisses ou de mécanismes de contrôle.
Les TCA concernent toutes les tranches d’âge, tous les genres et toutes les morphologies — y compris des personnes de poids « normal ».
Éléments déclencheurs possibles
Il n’existe pas une cause unique, mais un ensemble de facteurs de vulnérabilité :
1. Facteurs individuels
Anxiété, perfectionnisme excessif
Difficultés émotionnelles, estime de soi fragile
Changements corporels rapides
2. Facteurs familiaux ou relationnels
Pression ou commentaires sur le poids
Conflits, insécurité affective
Attentes de performance
3. Facteurs sociaux et culturels
Idéaux corporels irréalistes
Réseaux sociaux, filtres, culture de la minceur
Pression des pairs
4. Facteurs événementiels
Harcèlement scolaire
Traumatismes
Périodes de transition (entrée au collège, rupture, déménagement…)
Quelle prévalence en France ?
Les estimations varient selon les sources, mais les études convergent vers des données globales :
Environ 5 à 10 % de la population présenterait un TCA au cours de sa vie.
L’anorexie toucherait environ 0,5 à 1 % des personnes.
La boulimie et l’hyperphagie seraient plus fréquentes, notamment chez les adolescents et jeunes adultes.
Les TCA chez les enfants et les adolescents augmentent depuis plusieurs années.
Ces chiffres restent des estimations, car beaucoup de TCA ne sont pas diagnostiqués.
Les TCA chez l’enfant et l’adolescent

L’adolescence est une période de grande vulnérabilité : transformations corporelles, pression scolaire, recherche d’identité.Chez les plus jeunes, les symptômes peuvent être différents : évitement alimentaire, sélectivité extrême, angoisse autour de la nourriture, perte de poids non expliquée.
Quelques signes à surveiller :
obsession pour les calories ou le « manger sain »
sauts de repas
isolement pendant les repas
variations de poids rapides
crises alimentaires ou comportements compensatoires
discours très négatif sur son corps
Un dépistage précoce améliore grandement le pronostic.
Tour d’horizon des trois principaux TCA

1. Anorexie mentale
Anorexie mentale. Définition selon le DSM-5 (version expliquée)
Le DSM-5 décrit l’anorexie mentale comme un trouble caractérisé par une restriction alimentaire importante, une peur intense de prendre du poids et une altération de la perception corporelle.Voici les trois grands critères, reformulés :
1. Restriction alimentaire entraînant un poids significativement bas
La personne limite son apport énergétique de manière durable, ce qui entraîne un poids nettement inférieur à ce qui est attendu pour son âge, son sexe, sa croissance et sa santé.Ce “poids bas” ne dépend pas seulement de l’IMC : le contexte clinique global compte.
2. Peur intense de prendre du poids
Même quand la personne est très mince ou en danger médical, elle ressent :
une peur forte et persistante de grossir
ou adopte des comportements actifs pour éviter toute prise de poids (restriction, exercice excessif, comportements compensatoires…)
3. Altération de l’image corporelle
La personne :
se perçoit comme “trop grosse” ou focalise sur des zones jugées “imparfaites”
laisse le poids ou la silhouette influencer de façon excessive l’estime de soi
nie parfois la gravité de son état (minimisation des risques liés au sous-poids)
Les deux sous-types selon le DSM-5
1. Type restrictif
Pas de crises de boulimie
Pas de comportements compensatoires comme les vomissements
La perte de poids est liée surtout au jeûne, à la restriction et/ou à l’exercice excessif
2. Type avec accès hyperphagiques/purgatifs
Présence de crises alimentaires (même de petites quantités)
et/ou utilisation régulière de vomissements provoqués, laxatifs, diurétiques, lavements…
Gravité (DSM-5, version simplifiée)
Elle est estimée principalement selon l’IMC chez l’adulte (adapté selon l’âge chez l’enfant/adolescent) :
Légère
Modérée
Sévère
Extrême
⚠️ Le DSM rappelle que la gravité est surtout clinique, pas seulement numérique.
En résumé
L’anorexie mentale selon le DSM-5 repose sur :
restriction → poids bas
peur intense de prendre du poids
image corporelle altérée
C’est une maladie complexe, grave et multifactorielle, qui nécessite une prise en charge pluridisciplinaire.
Il serait le trouble le moins fréqunet mais le plus mortel.
2. Boulimie
Boulimie.Définition selon le DSM-5
La boulimie (ou boulimie nerveuse) est définie dans le DSM-5 par la présence d’épisodes de crises alimentaires incontrôlables, suivis de comportements compensatoires destinés à éviter la prise de poids.La personne vit ces épisodes avec une grande détresse.
Critères principaux
1. Crises de boulimie récurrentes
Une crise se caractérise par :
ingestion, dans un temps limité, d’une quantité de nourriture clairement plus importante que ce que la plupart des personnes mangeraient dans les mêmes circonstances
sentiment de perte de contrôle pendant la crise : impossible de s’arrêter ou de gérer ce qui est mangé
2. Comportements compensatoires inappropriés et répétés
Après les crises, la personne met en place des comportements destinés à éviter la prise de poids, tels que :
vomissements provoqués
jeûne strict
usage excessif de laxatifs, diurétiques ou lavements
activité physique poussée à l’excès
3. Fréquence minimale
Pour répondre aux critères du DSM-5, crises et compensations se produisent au moins une fois par semaine, sur une durée minimale d’environ trois mois.
4. Estime de soi fortement influencée par le poids ou la silhouette
Le poids ou l’apparence corporelle prennent une place disproportionnée dans l’évaluation de soi, et influencent fortement l’humeur et la confiance en soi.
5. Le trouble ne survient pas exclusivement pendant un épisode d’anorexie mentale
La boulimie est exclue si les comportements se produisent uniquement dans un contexte d’anorexie mentale avec poids significativement bas.
Gravité (selon le DSM-5, en résumé)
Elle est estimée principalement selon la fréquence des comportements compensatoires :
Légère : 1 à 3 fois/semaine
Modérée : 4 à 7 fois/semaine
Sévère : 8 à 13 fois/semaine
Extrême : 14 fois/semaine ou plus
⚠️ La gravité réelle dépend aussi de l’impact psychique, social et médical.
En bref
La boulimie selon le DSM-5 repose sur :
Crises alimentaires incontrôlables
Comportements compensatoires
Fréquence hebdomadaire sur 3 mois
Estime de soi centrée sur le poids/la silhouette
En dehors d’un épisode d’anorexie
Crises de suralimentation incontrôlables, suivies de comportements compensatoires(vomissements provoqués, laxatifs, jeûne, sport excessif)
Cycle culpabilité → crise → compensation
Poids souvent « normal », ce qui rend la maladie moins visible
Hyperphagie boulimique – Définition selon le DSM-5 (version expliquée)
L’hyperphagie boulimique (binge eating disorder) est un trouble caractérisé par des épisodes récurrents de prises alimentaires excessives, vécues avec une forte perte de contrôle — sans comportements compensatoires (pas de vomissements provoqués, pas de laxatifs, pas de jeûne forcé, etc.).
Il s’agit du trouble alimentaire le plus fréquent dans la population générale.
Critères essentiels (reformulés)
1. Crises d’hyperphagie récurrentes
Un épisode répond à deux caractéristiques :
consommation, en peu de temps, d’une quantité de nourriture clairement plus élevée que ce que la plupart des gens mangeraient dans un contexte similaire
sentiment de perte de contrôle : impossibilité de s’arrêter ou de gérer ce qu’on mange
2. Présence d’au moins trois comportements ou ressentis suivants
Pendant les épisodes, la personne peut :
manger plus rapidement que la normale
manger jusqu’à ressentir un inconfort physique important
manger sans avoir faim
manger seule par honte de la quantité ingérée
se sentir ensuite dégoûté(e), triste ou très coupable
3. Détresse marquée
Les crises entraînent une souffrance psychologique importante, un sentiment de perte de contrôle, de honte ou de détresse émotionnelle.
4. Fréquence minimale
Les épisodes surviennent au moins une fois par semaine pendant trois mois.
5. Absence de comportements compensatoires
Contrairement à la boulimie :
pas de vomissements provoqués
pas de jeûne compensatoire
pas d’exercice excessif dans un but de compensation
pas d’usage de laxatifs/diurétiques
Ce critère distingue clairement l’hyperphagie boulimique de la boulimie.
Gravité (selon la fréquence des épisodes)
Légère : 1–3 épisodes par semaine
Modérée : 4–7
Sévère : 8–13
Extrême : 14 ou plus
La gravité réelle dépend aussi de l’état émotionnel, de l’impact social et de la santé physique.
En résumé
L’hyperphagie boulimique selon le DSM-5 repose sur :
Crises régulières avec perte de contrôle
Au moins trois signes caractéristiques (vitesse, suralimentation, honte, manger sans faim…)
Détresse psychologique forte
Fréquence ≥ 1 fois/semaine pendant 3 mois
Absence de compensations (→ différence avec boulimie)
Les limites du DSM-5
Le DSM-5 est le principal manuel diagnostique utilisé par les professionnels.Mais il présente des limites :
il catégorise des comportements qui sont en réalité continus
beaucoup de personnes ont des symptômes importants sans remplir tous les critères
il ne reflète pas toujours la diversité des vécus
Deux autres TCA fréquents non spécifiés
Ces troubles ne rentrent pas totalement dans les grandes catégories, mais sont tout aussi sérieux :
Orthorexie : obsession du « manger sain »
Questionnaire d’orientation – Orthorexie (version simplifiée)
Pour chaque affirmation, notez votre accord :
0 = jamais
1 = parfois
2 = souvent
3 = toujours
A. Pensées et préoccupations autour de la nourriture
Je passe beaucoup de temps à penser à ce que je vais manger.
Je vérifie très souvent la composition ou les étiquettes.
Je me sens anxieux/angoissé à l’idée de manger un aliment que je ne considère pas comme « sain ».
Je pense qu’il existe des aliments totalement « bons » et totalement « mauvais ».
Je cherche régulièrement des régimes ou modes alimentaires « parfaits ».
B. Comportements alimentaires
Je restreins de plus en plus d’aliments que je considérais auparavant comme acceptables.
Je planifie minutieusement mes repas et j’ai du mal à improviser.
Je refuse de manger certains aliments même quand j’ai faim ou que le contexte social s’y prête.
Je prépare mes repas selon des règles strictes.
Je ressens de la culpabilité si je mange un aliment « non sain ».
C. Impact sur la vie quotidienne
Mes règles alimentaires limitent ma vie sociale (sorties, invitations…).
Je juge mes choix alimentaires comme un indicateur de ma valeur personnelle.
Je me sens supérieur ou inférieur aux autres selon ce qu’ils mangent.
Mon alimentation prend une place excessive dans ma vie quotidienne.
Je ressens du stress si je ne peux pas suivre mes règles alimentaires.
Interprétation indicative (non médicale)
0 à 15 points : faible préoccupation — comportement alimentaire flexible.
16 à 25 points : vigilance — certaines rigidités ou préoccupations émergent.
26 à 35 points : préoccupations élevées — impact possible sur le bien-être.
36 points et plus : niveau préoccupant — forte rigidité alimentaire, souffrance potentielle.
⚠️ Ces scores ne constituent pas un diagnostic. Ils permettent simplement de repérer une possible difficulté pour en parler avec un médecin, psychologue ou diététicien spécialisé.
Signes courants associés à l’orthorexie (rappel)
Croyance que la santé dépend uniquement de la pureté alimentaire
Rigidité extrême, règles strictes
Anxiété sociale autour des repas
Exclusion de plus en plus large d’aliments
Culpabilité intense en cas “d’écart”
Sentiment de contrôle ou de supériorité lié à l’alimentation
Perte de plaisir alimentaire
Bigorexie : dépendance au sport
Bigorexie : quand le sport devient excessif
La bigorexie, ou addiction au sport, correspond à une pratique physique excessive et compulsive, accompagnée d’une grande souffrance si l’on ne peut pas s’entraîner.Ce n’est pas une “passion”, mais une perte de liberté.
Principaux signes
Entraînements très fréquents, même blessé ou épuisé
Anxiété ou culpabilité si une séance est manquée
Organisation de toute la vie autour du sport
Besoin de performance ou obsession d’un corps “parfait”
Estime de soi dépendante des performances ou de l’apparence
Liens avec les TCA
La bigorexie peut accompagner des troubles alimentaires :sport utilisé comme compensation, contrôle strict de l’alimentation, obsession corporelle, rigidité extrême.
Risques
blessures répétées
fatigue chronique
troubles hormonaux
isolement, anxiété, épuisement émotionnel
Que faire ?
Une prise en charge pluridisciplinaire est recommandée (psychologue, médecin du sport, diététicien).L’objectif : retrouver une pratique sportive saine, équilibrée et non compulsive.
L’iceberg des TCA
On compare souvent les TCA à un iceberg :
La partie visible : le comportement alimentaire
La partie cachée : émotions, traumatismes, anxiété, image de soi, perfectionnisme, pression sociale, attachement…
Travailler uniquement l’alimentation ne suffit pas : il faut comprendre ce qui se joue en profondeur.
Qui peut aider ? Les professionnels à consulter

Une prise en charge efficace est pluridisciplinaire :
Professionnels médicaux
Médecin généraliste
Pédiatre
Psychiatre
Nutritionniste spécialisé TCA
Professionnels paramédicaux
Psychologue / psychothérapeute
Diététicien spécialisé TCA
Infirmier ou infirmière en santé mentale
Psychomotricien
Orthophoniste (enfants / ARFID)
Approches complémentaires
Thérapies familiales
TCC (thérapies cognitivo-comportementales)
Soutien social et scolaire
Ateliers d’estime de soi / gestion émotionnelle
Numéros et sites utiles
Maison des Ados (MDA) : accueil gratuit pour jeunes et familles
FNA-TCA (Fédération Nationale des Associations dédiées aux TCA)
STOP TCA : stoptca.fr
ENDAT TCA : www.endat.fr
FFAB : fédération française Anorexie et boulimie : 0810 037 037
Anorexie-Boulimie Info Écoute (ABIDE)
Pédiatres / CMP / CMPP locaux
Conclusion
"Un trouble n'a pas besoin d'être diagnotiqué pour être réel et vous faire souffrir !" Gorskie.Jéremy
Les TCA sont des maladies profondes, multifactorielles et souvent invisibles.Une personne qui en souffre n’a rien choisi : elle lutte.Plus la prise en charge est précoce, bienveillante et pluridisciplinaire, meilleures sont les chances d’amélioration.
Parler des TCA, c’est déjà briser une partie du tabou.





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